Un piège qui se referme
Il peut arriver que nous nous sentions tristes et enfermés en nous-mêmes ou que les relations avec nos proches se dégradent et qu’éclatent des conflits. Dans ces cas-là, l’isolement et le mal-être se diffusent et nous enlisent. A leur tour, cet isolement et ce mal-être peuvent devenir une profonde source d’angoisse… qui va amplifier le sentiment d’enfermement et le cortège des disputes. Le cercle vicieux est en place.
Lorsque ces états de tension surviennent, il existe pourtant une possibilité de sortir de cette boucle au sein de laquelle nous sommes prisonniers. Il s’agit de mettre ou de remettre des mots sur la situation que nous vivons, sur nos états intérieurs. A partir de là, nous pouvons alors poser une demande qui peut servir de point d’appui pour avancer.
En effet, c’est quand nous ne trouvons plus les mots pour dire, les mots pour nous dire, que le piège de l’isolement et de la violence se referme sur nous.
La communication non violente, c’est quoi?
La communication non violente (ou CNV) est une méthode de communication mise au point par le psychologue américain Marshall Rosenberg. Elle est parfois appelée « communication consciente et non violente » dans la mesure où elle demande un réel effort de présence à soi et à l’autre pour communiquer. Il ne s’agit pas d’utiliser des ficelles, des trucs ou des astuces: il est plutôt question de réellement entrer en soi pour aller toucher ce qui fait blessure, ce qui fait souffrance, ce qui nous touche dans nos besoins fondamentaux pour mieux nous relier à l’autre.
La CNV trouve ses origines dans la psychologie humaniste développée par Carl Rogers. En francophonie, et en particulier en Belgique, c’est Thomas D’Ansembourg qui l’a popularisée. Ce dernier résume l’enjeu de la CNV comme suit: il s’agit « d’être avec les autres en restant soi-même ». En pratique, la CNV vise donc à déployer un processus de communication consciente et non violente tant avec soi-même qu’avec l’autre. En ce sens, la CNV peut devenir un véritable outil pratique pour se reconnecter à soi-même et aux autres. La CNV est donc outil à nul autre pareil: il s’agit d’un véritable métier à (re)tisser les relations.
Comment faire en pratique?
Un processus en 4 étapes
Le processus de la CNV est très structuré et se décompose en 4 étapes:
1) Tout d’abord, il s’agit de décrire les faits sans juger ni interpréter: l’enjeu est d’être le plus objectif possible. Nous sommes ici dans la sphère de l’espace mental.
Exemple: « j’observe que mon ami n’a pas pris la parole durant le repas et a quitté la pièce sans parler »
Contre-exemple: « mon ami fait la tête »
2) Il s’agit ensuite d’exprimer son ressenti: c’est l’émotion qui nous traverse, qui nous appartient et que nous allons exprimer sous la forme de « je me sens / je sens que ». A ce stade, nous sommes descendus au niveau du coeur.
Exemple: « je me sens triste, en colère et découragé » (sentiment)
Contre-exemple: « je sens que je dois faire ceci ou cela » (pensée, concept, commentaire)
3) Nous allons ensuite exprimer le besoin associé au ressenti. Le besoin fondamental est ce qui constitue pour nous une motivation profonde, une valeur interne qui nous appartient au même titre que nos émotions. C’est la sphère des tripes.
Exemple: « je me sens inquiet » (sentiment) car « j’ai besoin de sécurité » (besoin)
Contre-exemple: « je me sens inquiet » (sentiment) et « j’ai besoin que tu me rassures » (déresponsabilisation)
4) Exprimer une demande concrète, réaliste, positive et négociable: il s’agit de tenter d’agir de concert pour faire évoluer la situation vers un mieux. Au niveau de la symbolique du corps, nous sommes maintenant arrivés à la dernière étape, aux jambes, qui vont faire avancer la situation.
Exemple: « pouvons-nous convenir de faire la vaisselle ensemble, chaque soir de la semaine après le repas? »
Contre-exemple: « je fais le repas, tu fais la vaisselle »
Un exemple complet
Imaginons que vous ayez un RDV et que votre interlocuteur arrive en retard. Que pourrait donner une conversation en CNV ?
Etape | Exemple | Contre-exemple |
---|---|---|
Décrire les faits | Il est 10h30 et nous avions RDV à 10h. Lors de notre rencontre de la semaine passée cet écart était identique et, par conséquent… | Comme toujours, tu es en retard! |
Exprimer son ressenti | Je me sens en découragé et en colère car… | Tu es vraiment nul et… |
Relier le besoin au ressenti | J’ai besoin de respect et de confiance lorsque nous prenons un accord. | On ne peut pas compter sur toi! |
Faire une demande concrète et négociable | Pouvons-nous chacun prendre l’engagement d’arriver à l’heure à l’endroit prévu lorsque nous convenons d’un RDV? | T’as intérêt à être à l’heure la prochaine fois! |
Nous pouvons observer que, dans la colonne du contre-exemple, ce sont les jugements (« tu es… ») et une injonction qui sont à l’avant-plan. Dans la colonne de l’exemple, l’interlocuteur prend la responsabilité de son état intérieur et fait une demande qui peut être négociée.
Un cycle fait d’allers-retours
Le fait de parvenir à enchaîner ces 4 étapes successivement constitue une première itération dans le processus de communication. Votre interlocuteur va alors aussi devoir passer par le même processus et la dynamique de communication va alors pouvoir se déployer par allers-retours progressifs jusqu’à ce qu’un nouvel état d’équilibre soit atteint.
Bien que chaque étape soit importante, le fait d’identifier le besoin relié au ressenti est essentiel. En effet, c’est l’identification du besoin qui permet de comprendre en quoi une situation particulière nous touche. On distingue par exemple les besoins de survie, d’affirmation de soi, d’autonomie ou d’ordre relationnel par exemple.
En résumé
La CNV est donc une méthode, une pratique, une dynamique à insuffler progressivement dans notre manière de communiquer pour plus d’authenticité et de bienveillance. Mais contrairement à une incompréhension souvent répandue, la bienveillance n’a rien à voir avec la complaisance. A cet égard, exprimer sa colère à toute sa place en CNV (c’est d’ailleurs un de ses enjeux majeurs) mais dans le respect de soi et de l’autre, donc sans être dans la destruction de l’autre. Ce n’est pas une question d’énervement; c’est une question d’énergie. Et la CNV peut nous aider à exprimer les énergies qui nous traversent sans que nos proches deviennent des paratonnerres.
Tentons de résumer la CNV en un tableau:
Ce qu’elle est | Ce qu’elle n’est pas |
Communication / Interaction | Gestion |
Non violente / Non destructrice | Complaisance / Passivité |
Processus | Evénement |
Pratique | Secte |
Apprentissage | Magique (quoique…) |
Si la CNV était un ouvrage d’art, elle serait un puits car elle nous encourage à littéralement descendre dans notre puits interieur pour y faire la clarté.

Dans un prochain article, nous irons plus en détail en identifiant les principaux pièges du processus en 4 étapes de la CNV.
Pour aller plus loin
- L’excellent livre de Thomas d’Ansembourg aux Editions de l’Homme (le meilleur à mon sens): Cessez d’être gentil, soyez vrai! Etre avec les autres en restant soi-même (édition 2020)
- Une liste des sentiments et des besoins proposée par le groupe Conscientia.