Lorsque nous tentons de mettre en pratique le processus de communication non violente (CNV), il y a une série de pièges dans lesquels nous pouvons tomber de manière assez naturelle. En effet, nous avons intégré de nombreux conditionnements au cœur même de notre langage et ceux-ci parasitent le processus de communication d’entrée de jeu.
En prenant conscience de ces pièges, nous pouvons dépoussiérer, clarifier, passer nos paroles au tamis de la conscience pour progressivement être au plus proche de ce que nous voulons exprimer à l’autre. Dans cet article, nous allons examiner les pièges qui se nichent au sein des 4 étapes du processus de la communication non violente que nous avons décrit dans un précédent article.
Décrire les faits
Pour rappel, la première étape du processus en CNV consiste à observer les faits sans juger ni interpréter. Hors, contrairement aux apparences, cette étape est loin d’être simple! Dès qu’une idée ou qu’une perception émerge en nous, il est très difficile de la dissocier des colorations jugeantes et interprétations qui arrivent dans son sillon. Celles-ci peuvent être le fruit de notre éducation ou de notre expérience de vie.
Dans son livre « Cessez d’être gentil, soyez vrai », Thomas d’Ansembourg relève 5 pièges principaux qui peuvent nous faire trébucher dès cette première étape:
- Les jugements: les jugements constituent des appréciations, favorables ou défavorables, que nous portons sur quelqu’un ou sur quelque chose. Ils se distinguent des faits dans la mesure où ce ne sont généralement pas des éléments observables. Exemples: cet homme est méchant, je suis nul, etc.
- les étiquettes et catégories: il s’agit de généralités par lesquelles nous résumons un ensemble de personnes aux caractéristiques d’un groupes auquel elles appartiennent. Cette approche mentale dresse une clôture entre nous et l’autre, elle enferme. Exemples: tous les élèves de l’école sont des paresseux, tous les enfants en bas âge sont bruyants, etc.
- Les préjugés, a priori, croyances: ce sont des opinions sur quelqu’un ou quelque chose qui se forment à l’avance dans l’esprit selon certains critères personnels et qui orientent, en bien ou en mal, les dispositions à l’égard de cette personne ou de cette chose. Ces opinions adoptées sans examen peuvent avoir été influencées par notre milieu, notre éducation ou encore nos expériences de vie. Exemple: la vie est dure, un couple ça ne peut pas fonctionner, dans les familles c’est toujours compliqué, etc.
- La pensée binaire: la pensée binaire réduit une situation à deux options dont il faut absolument en sélectionner une et exclure l’autre. Cette vision dichotomique du monde appauvrit nos perceptions et nous fait perdre de vue d’autres options tout aussi valables lorsque nous évaluons cette situation. Exemples: blanc/noir, vrai/faux, gentil/méchant, etc.
- Le langage déresponsabilisant: enfin, le language déresponsabilisant est une manière de rejeter à l’extérieur la part de responsabilité que nous avons dans telle ou telle situation. En effet, si nous ne sommes pas être maîtres de tout ce qui nous arrive, le monde extérieur ne peut pas constituer la source de tous nos malheurs. Exemples: j’ai raté mon examen à cause du prof, c’est la faute de la société si ça ne va pas, c’est la politique, la météo, etc.
Exprimer son ressenti
Après la description des faits vient l’étape de l’expression du ressenti. Quand je vis telle ou telle situation, quelle est l’émotion qui me traverse, qui m’habite, qui me déséquilibre ou au contraire me transporte? Par définition, les émotions passent aisément sous le radar de notre contrôle mais, ce que nous pouvons faire, c’est les accueillir, les observer en nous sans les juger. Les émotions sont tout simplement des signaux qui viennent dire quelque chose de notre état intérieur. En les accueillant puis en nous décentrant pour les regarder avec un peu de recul, elles « chantent » ce qui se passent en nous. Il y a 2 éléments essentiels à garder à l’esprit lors de cette étape:
- Parler en « je » plutôt que « tu es »: il est fondamental de parler en « Je », de parler de ce qui se passe en soi-même. Dès lors, il s’agit d’utiliser une tournure telle que « je sens » ou « je me sens » puis d’y accoler l’émotion que nous avons identifiée (joyeux/serein/triste/en colère…). C’est une manière de prendre la responsabilité et la pleine appropriation de l’émotion que nous ressentons. Utiliser le pronom « on » ou encore la tournure « je sens que tu es » sont à éviter: en effet, ils renvoient la responsabilité de notre ressenti sur l’autre.
- Attention aux sentiments intriqués qui induisent des jugements: certains mots semblent exprimer une émotion mais portent en eux un jugement induit. Il s’agit de mots qui mélangent à la fois une dimension émotionnelle et un jugement implicite. Par exemple, dire à quelqu’un « je me sens abandonné » revient à lui dire « tu m’abandonnes », ce qui lui impute la responsabilité de notre état. Dans ce cas, il vaut mieux dire alors « je me sens seul, triste et découragé », ce qui signe bien que ce que je ressens comme émotion m’appartient.
Verbaliser le besoin fondamental
L’émotion est le signal qui témoigne qu’un ou plusieurs de nos besoins fondamentaux ne sont pas comblés ou rencontrés. En d’autres termes: l’émotion est le symptôme et le besoin est l’origine, la cause du problème. Le besoin renvoie donc à quelque chose de fondamental en nous, à un élément qui fait partie intégrante de notre équilibre interne.
Dans le prolongement de ce que nous venons de voir pour le piège 2 du paragraphe précédent, l’enjeu ici est aussi de prendre la responsabilité de nos propres besoins sans les projeter sur l’autre. A cet égard, nous préférerons donc employer l’expression « j’ai besoin de » au lieu de l’expression « j’ai besoin que tu ». En effet, cette seconde expression a comme effet de rejeter notre besoin sur l’autre:
- Exemple: « j’ai besoin de confiance et de respect » (responsabilisation)
- Contre-exemple: « j’ai besoin que tu sois gentil » (déresponsabilisation)
Même si les mots employés au départ dans chaque expression sont identiques (« j’ai besoin »), la nuance entre les deux est de taille en ce qui concerne notre positionnement par rapport à l’autre et le fait d’assumer notre propre responsabilité.
Faire une demande concrète, positive et négociable
Enfin, après être parvenu à se connecter à nos émotions et les avoir reliées à nos besoins fondamentaux vient le moment de la demande. Le but est de passer à l’action dans le sens de faire évoluer la situation. C’est ici que sont tapies les 3 derniers pièges que dans lesquels le processus peut s’enliser.
Premièrement, la demande doit être concrète. Ce terme recouvre 4 dimensions que nous allons détailler ensemble. Prenons l’exemple d’un parent qui demande à l’un de ses enfants de participer à la vaisselle du souper:
Dimension | Exemple | Contre-exemple |
---|---|---|
Spécifique | Je voudrais te parler de l’organisation de la vaisselle du souper (sujet précis) | Je voudrais te parler de l’entretien de la maison (sujet trop général) |
Mesurable | Après le souper, j’ai à coeur que la vaisselle soit propre et rangée dans les armoires | Après le souper, tout doit être nickel |
Réaliste | Je voudrais te demander d’essuyer la vaisselle et de la ranger pendant que je lave | Je veux que tu fasses toute la vaisselle seul |
Définie dans le temps | Chaque soir de la semaine durant l’année scolaire | Dès qu’il y en a |
Bien entendu, cet exemple est peu caricatural mais le but est de montrer à quel point il est important de bien cerner et délimiter l’objet de la demande. Il ne vous sera pas possible d’obtenir une réponse claire et favorable si la demande initiale n’est pas bien circonscrite. Il est aussi essentiel que la demande soit réaliste: j’ai peut-être des attentes mais elles doivent être ramenées à ce qui est possible pour l’autre.
Ensuite, il est important de retenir que nous avons plus de chance de parvenir à un compromis et à une nouvelle entente si la demande est positive au lieu d’être négative:
- Exemple: « puis-je te demander de faire ceci ou cela? »
- Contre-exemple: « je te demande d’arrêter de faire ceci ou cela »
Enfin, dernier élément, et non des moindres: la demande est négociable. Cet aspect a une dimension fondamentale: l’autre peut ne pas être d’accord! Cet aspect est essentiel: il ‘agit d’une demande donc un consensus doit être trouvé entre les participants à la discussion. Il ne s’agit pas d’un ordre ou d’une injonction. Par conséquent, si un désaccord subsiste, il y aura lieu de trouver ensemble une position intermédiaire qui convient à chacun à travers une succession de propositions et de contre-propositions. C’est cet ajustement progressif qui permettra de trouver une nouvelle base de fonctionnement en commun.
Un pont à construire ensemble
Nous l’avons vu, échafauder un processus de CNV avec soi-même, avec une autre personne ou un groupe de personnes constitue un exercice d’équilibriste. C’est une démarche de l’ordre du vivant qui demande de l’attention, une conscience de soi et de ce que nous souhaitons exprimer. C’est une danse, un ballet, une construction. Bloc par bloc, brique par brique, il s’agit de rebâtir le canal qui nous relie aux autres.
Soyons de bon compte: ce n’est pas toujours facile, surtout en débutant l’apprentissage de la CNV. Cependant, avec un peu d’entraînement, nous pouvons progressivement mieux discerner ce qui se passe en nous pour mieux le communiquer à l’autre. Par effet retour, nous comprenons mieux l’autre et cette compréhension mutuelle peut nous rapprocher.
C’est ainsi que quelque chose de surprenant survient: la connexion s’intensifie, la communication se redéploie et la la fluidité vient à nouveau nourrir ce qui constitue le pont central entre les personnes: la relation.
Êtes-vous prêt à tenter l’expérience? Cela en vaut la peine.

Pour aller plus loin
- L’ouvrage de référence du créateur de la CNV Marshall Rosenberg: Les mots sont des fenêtres, ou bien ce sont des murs (édition 2016)
- Le site de l’Association pour la Communication Non Violente de Belgique Francophone